Aperçu

Imagine donc, Lecteur.

Imagine le golfe de Salerne et la côte amalfitaine à tes pieds. C’est la vue que l’on aperçoit depuis Ravello, l’un des plus beaux villages de l’Italie du sud. C’est là, à flanc de colline, non loin de ce village mais à l’écart et plus en hauteur, que j’imagine le domaine de mes rêves.

L’accès au domaine est volontairement difficile. Le chemin escarpé dissuade le touriste à la curiosité compulsive qui, bien qu’obstiné, se retrouverait bredouille face à une muraille opaque et une double porte close.

Lorsque la porte s’ouvre – non au touriste mais à l’invité – l’obscurité demeure car l’on pénètre dans un bois au feuillage dense, un bois sauvage, où hêtres, cyprès et pins parasols s’entremêlent avec frénésie et empêchent de se frayer aisément un chemin : une nature indomptée et hostile.

Après dix minutes de marche laborieuse, le bois s’ouvre et dévoile une clairière circulaire donnant sur la demeure. Cette clairière-jardin possède la double qualité d’un naturel construit : un matériau vivant mais travaillé par la conscience humaine. Cette ouverture, à la lisière du bois, accueille une pelouse circulaire entourée de buissons variés, faussement désordonnés, comme le préconisent les jardins anglais. Au centre de la pelouse, un acacia au bois imputrescible et au feuillage abondant, prend racine non loin d’un ruisseau. Au loin à droite, un soleil bas (aurore ou crépuscule ?) vient frapper l’épais feuillage de l’arbre et relègue dans l’ombre, sur la gauche, une partie du paysage. Un espace clos en somme, fait d’ombre et de lumière : nous ne sommes plus dans l’opacité du bois mais dans un clair-obscur indolent.

Et tu hésites à te retourner, à quitter cette indolence séduisante pour franchir le seuil de la demeure. Trois marches de marbre blanc séparent le jardin de l’habitation et marquent une rupture, un changement de ton radical : désormais, rien ne sera plus jamais comme avant.

La demeure est blanche elle aussi, rectangulaire et à toit plat ; elle semble ne comporter qu’un rez-de-chaussée. Cette partie de la maison, visible depuis la clairière, est en réalité l’étage supérieur d’une architecture en gradins épousant la colline ; lorsque tu pénètres dans la maison, un escalier central en colimaçon descend donc au lieu de monter.

Autour de cet escalier, une chambre-bureau ; de gauche à droite une salle de bains, un lit, une table, une chaise longue. L’ensemble est baigné de lumière : une longue porte vitrée constitue en quelque sorte les yeux de la maison.

Si tu empruntes l’escalier, tu descends dans un séjour de surface comparable à la chambre, et que tu peux lire également comme un livre, de gauche à droite : le salon, la salle à manger et une cuisine américaine.

La maison et ses meubles sont à la fois sobres et élégants. Un « dépouillement confortable » en somme, mais un dépouillement au sens sculptural du terme : il s’agit de donner forme en retirant de la matière.

En descendant une dernière fois l’escalier, tu accèdes à un belvédère, une grande terrasse avec piscine, donnant sur la baie immense. A cet endroit de la demeure, le bain est avant tout un bain de lumière car l’exposition est maximale : orienté plein sud, le belvédère ne connaît pas l’ombre.

Dès lors, en traversant le domaine du bois au belvédère, tu évolues de l’obscurité totale à une clarté presque aveuglante, d’une clôture maximale à une ouverture infinie, d’une nature hostile à une nature accueillante.