Imagine, Lecteur…

Imagine le domaine de tes rêves. Imagine une demeure érigée et aménagée selon ton désir. Imagine aussi tout ce qui l’entoure : une nature sauvage (une forêt épaisse édictant ses propres lois, indifférente à ta présence), mais aussi une nature tout autre, plus apprivoisée (un jardin, une sorte de clairière domestiquée, une « spontanéité construite »).

Ce domaine, peut-être l’as-tu, en tout ou en partie, déjà concrétisé ; peut-être as-tu trouvé les moyens financiers nécessaires à sa matérialisation ; peut-être encore n’es-tu pas nanti mais habile, et l’as-tu édifié de tes propres mains.  Mais peut-être aussi n’as-tu, comme moi, d’autre ambition que de le saisir par la pensée, simplement, animé d’une douce obstination, le cœur ouvert et les yeux fermés.

Car ce domaine, qu’il s’incarne ou non dans la pierre, peut s’envisager comme le déploiement extérieur d’une géographie intime, comme une propriété où se loveraient tes états d’âme, comme un grand corps vivant qui serait aussi le tien ; et, semblable au Voyageur de Friedrich dessinant sur la toile la mer de nuages où baignent ses pensées, tu parcourrais le domaine pour mieux épouser les contours de ton être.

Certains trouveront la métaphore éculée. D’autres, au contraire, lui confèreront un souffle sans cesse renouvelé, une signification vive et toujours provisoire : c’est le chemin que je te propose de suivre.

Un bref aperçu te permettra d’embrasser du regard le domaine imaginaire qui est le mien, du bois à la baie (de l’ombre à la lumière) en passant par la clairière et la demeure.

À chaque lieu correspond un état, une action ou encore, un climat particulier. Ces lieux illustrent les jalons de l’itinéraire existentiel proposé par le philosophe Robert Misrahi ; un itinéraire qui s’enracine dans la crise pour mieux s’en affranchir et se tourner vers la construction d’un bonheur durable et solaire. 

À chaque lieu sont associés de courts essais, volontairement fragmentaires, rédigés au gré de mon humeur, qui entendent illustrer une étape particulière de cette éthique eudémoniste. Rassure-toi, Lecteur : tu ne trouveras ici nul striptease psychologique, mais bien l’état provisoire d’une compréhension, d’une analyse, d’un ressenti dont l’ancrage sera tour à tour musical, pictural ou livresque.  Par là même je souhaite retrouver l’esprit de Hermann Hesse qui, dans son Jeu des Perles de Verre, exhorte à créer des liens, des correspondances qui font sens et nourrissent la méditation, la contemplation, l’exercice spirituel au sens antique du terme : une disposition d’esprit, une qualité de lecture et d’écriture en vue d’opérer, par de subtils déplacements intérieurs, une transformation personnelle, une connaissance éprouvée, entre raison et cœur.

Pas de striptease psychologique, pas davantage de prêche. Mon regard est personnel et provisoire, il ne se soucie ni de convaincre ni d’endoctriner, il souhaite peu et beaucoup : éprouver, comprendre, réaliser, partager.

Mes réflexions et leurs supports t’interpellent ou te laissent de marbre ? Penses-tu à d’autres liens, d’autres musiques, d’autres saveurs, d’autres couleurs ? Aide-moi à ton tour à traverser ce domaine, invite-moi à d’autres flâneries, à d’autres tâtonnements, à d’autres errances. Contribue à faire de ce domaine le cadre d’un merveilleux désordre, à l’image d’un édifice baroque à la structure souple, organique, foisonnante, loin de toute rigidité classique.

Passons ensemble de l’apollinien au dionysiaque.